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Gérard SEBAOUN - Conseiller municipal de Franconville
12 janvier 2006

Le fait divers du Nice-Lyon intelligemment commenté dans libération

  • La chronique de Pierre MARCELLE parue le vendredi 06 janvier 2006 dans Libération

Oh, certes, on ne dira pas qu'il ne s'est rien passé dans le train express régional 17 430 reliant Nice à Lyon à l'aube de l'an neuf. Il s'est sans guère de doute passé quelque chose d'«inqualifiable» mais que cependant on ne qualifiera pas. Des collègues ont fait ça très bien, dans le remake de l'attaque de la diligence ou du convoi postal. Le seul problème est que, des faits trop maigrement avérés, ils ignoraient à peu près tout... Dès mardi soir, sur LCI ­ la filiale du temps de cerveau pulvérisé ­, cette prégnante impression d'avoir déjà entendu cela quelque part : la horde très sauvage d'une «centaine» d'agresseurs rançonnant sans coup férir six cents voyageurs et violentant sexuellement les femmes (et gratuitement les enfants et les vieillards), la préméditation suggérée de la mise en coupe réglée, par les barbares, d'un train entier tétanisé par l'effroi que la racaille forcément inspire, avec le couteau dans la poche du survêt' et le rasoir dans la capuche... D'un seul coup débondés, les mêmes mots et les mêmes fantasmes que ceux qui firent, en juillet 2004, la fortune de la trop belle fable de certaine agression censée être advenue dans un RER de la ligne D. Et sur ce vacarme parasite une autre petite musique trop cathodique et elle aussi ressassée comme une scie : à mesurer mardi soir la montée en puissance du fait divers à un euro vingt (au refrain : les transportés à tarif réduit sont forcément des pauvres et les pauvres sont forcément des fauves), on se crut soudain, par la magie de cette autre triste et lancinante musique infiniment sécuritariste, revenu en pleine et rase campagne électorale (oui, celle de la présidentielle de 2002, exactement...) Mêmes causes et mêmes effets, encore exacerbés par la fureur du toujours plus vite médiatique (affolé par son avatar numérique), et du toujours plus répressif politique (affolé par les échéances que l'on sait). Le budget 2006 de la SNCF prévoyait jeudi un bénéfice courant en hausse de 137 % (à 330 millions d'euros) et des effectifs en baisse de 1,7 % (avec la suppression de 2 749 postes).

  • L'article de Daniel SCHNEIDERMANN Paru dans Libération le vendredi 06 janvier 2006, analyse avec acuité le phénomène médiatique déclenché par un fait divers récent . Sur le blog : Le fait divers au sommet de l'Etat ?

" Des enquêtes expliqueront peut-être un jour pourquoi il a fallu près de trois jours à «l'affaire du train Nice-Lyon» pour se hisser à la première place des journaux télévisés. Les mêmes enquêtes établiront peut-être si cet emballement politico-médiatique (modèle désormais canonique) était justifié par la gravité réelle des agressions commises à l'intérieur de ce train du 1er janvier. Peut-être ces enquêtes décèleront-elles, dans la police, la Justice, au ministère de l'Intérieur, à la SNCF, dans les services secrets français, à la CIA ou au Mossad, les traces d'une conspiration du silence visant à étouffer ces regrettables événements. Risquons une autre hypothèse, plus tristement banale. S'il a fallu si longtemps à l'affaire pour se hisser à la Une, c'est parce que le système politico-médiatique, le 1er janvier, était encore en vacances. Et, s'ils font la Une le 4 janvier, c'est parce que le même système, revigoré, ragaillardi, débordant d'énergie investigatrice, ses caméras et ses micros briqués à neuf, est rentré de vacances.
A qui a le courage de les regarder, les journaux télévisés des grandes chaînes françaises, lors des fêtes de fin d'année, offrent le spectacle fascinant d'une machine à évacuer le réel. Ou plutôt, à le dépouiller de ses habituels oripeaux. On pourrait les supprimer, ces journaux. Les remplacer par des séries télévisées, des jeux, des publicités. Les chaînes de télévision pourraient s'inspirer de ces grands hebdomadaires qui, désormais, publient des numéros doubles au début des vacances, et s'accordent une semaine de vraie relâche en abandonnant leurs lecteurs aux soins de baby-sitters nommés Mozart ou Louis XIV. Ce serait plus honnête. On dirait «Nous sommes en vacances, nous les producteurs d'informations. Pendant nos vacances, rien ne peut advenir, par définition, puisque les hommes et les femmes politiques, les patrons du CAC 40, les syndicalistes enseignants, les syndicalistes policiers, les conducteurs en grève, les usagers pris en otages, les médecins généralistes, les médecins spécialistes, les pharmaciens d'officine, les radiés des listes du chômage, les juges d'instruction, les acquittés d'Outreau, les plombiers polonais, Nicolas Sarkozy, les Français préférés des Français, les chanteurs de chez Drucker, les Guillaume Depardieu, les Christian Clavier, les auteurs de best-sellers victimes d'inceste, bref tous les producteurs d'information, sont en vacances aussi. Et, en cas de catastrophe indépendante de notre volonté, tsunami, marée noire sur les côtes bretonnes, nous décréterons l'état d'urgence, et rentrerons en quarante-huit heures. Dans le cas contraire, dormez tranquilles.» Mais non. Les chaînes préfèrent faire comme si. Comme si elles continuaient à informer. Comme si elles continuaient de proposer de vrais journaux télévisés, présentés par de vrais journalistes. Simplement, ils ne parlent que d'un autre monde. Neige, verglas, foie gras, embouteillages, absence d'embouteillages, absence de neige, cadeaux de dernière minute, feux d'artifice, messes de minuit.

Si le réel disparaît, c'est sous un autre monde qui se présente aussi comme le réel. Ce monde est lisse et cohérent, comme une couche de sucre glace. Unité de temps, unité de lieu, unité de ton. Unité de temps. Avant : préparer ses vacances, ses repas de fête, acheter ses cadeaux. Après : réparer les dégâts, rentrer de vacances, revendre ses cadeaux sur l'Internet. Unité de lieu. Salles illuminées des grands restaurants, humbles hameaux disparaissant sous le givre, intimités familiales, frénésie rubiconde des marchés de Noël noyés de vin chaud. Il nous dit : mais oui, je suis moi aussi un réel vraisemblable. Vraisemblable, puisque je suis parfaitement habilité à me présenter comme le réel authentiquement vécu par la majorité de ceux qui me regardent. Et si vous ne vous y reconnaissez pas, un peu de respect pour la majorité qui, elle, s'y retrouve. Niez-vous la réalité de la neige ? Du foie gras ? Du vin chaud ? Et des embarras gastriques d'après-Noël ?

Sous la couche blanche, apparaissent bien quelques rugosités, quelques protubérances. Les journaux télévisés, certes, ne les nient pas. Simplement, on les livre en vrac, dans les cartons, puisque l'heure est au hard discount. Quelques mots, quelques images, service minimum, on verra bien plus tard. Une guerre des tarifs gaziers entre la Russie et l'Ukraine ? On verra plus tard pour les détails et les analyses. Une ministre oubliée se précipite à Poitiers, pour faire fermer une usine d'incinération, alors que d'autres bénéficient de dérogations ? Pour les polémiques, les approfondissements, les questions, on verra plus tard. Quant à la nuit de la Saint-Sylvestre, elle s'est bien passée, puisque le permanencier du gouvernement l'assure. Un scalpel invisible a séparé les simples faits de tout ce qui habituellement les habille, les alourdit, les colore. Comme ils paraissent incertains soudain, et inoffensifs. Et il faut l'énergie de la rentrée, une vague mauvaise conscience aussi sans doute, pour que tout rentre dans l'ordre, et que le train Nice-Lyon vienne enfin percuter le système. Une colère de Jack Lang, une pique de Chirac, de longues exégèses de la pique de Chirac, des micros-trottoirs de voyageurs angoissés, de graves questions de PPDA, de graves annonces de Sarkozy : le réel a retrouvé son maquillage habituel."


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