Quand la TV de service public fait bien son métier, elle nous honore
Mercredi soir j'ai regardé l'émission de France 3 "Comme un juif en France". A travers certaines images d'archives et des témoignages émouvants, j'ai replongé dans une partie de ma propre histoire.
En voyant et en écoutant ces juifs pied noirs débarqués en 1962 en métropole comme ils disaient, je recherchais dans ma mémoire le jeune garçon de 11 ans que j'étais à l'époque. J'ai essayé sans grand succès de revoir l'enfant descendu d'un avion qui avait décollé de Maison Blanche à Alger pour atterrir à Marignane. Je découvrais Marseille en même temps qu'une vieille tante qui nous accueillait mes soeurs et moi. Nos parents étaient restés là bas, chez nous. Cette année marseillaise ne fut pas très heureuse malgré l'attention de notre famille d'accueil. Nous étions d'ailleurs et nous le savions. Nous habitions près du cours Belzunce, dans un appartement simple et modeste et pour me distraire, dès que je le pouvais, je fonçais vers les cinémas du quartier, avec ses séances permanentes et ses peplum que j'adorais. J'ai connu la solitude de beaucoup d'enfants "déracinés", pas encore à leur place et déjà loin de la terre natale. Au lycée Nord de Marseille, en classe de 5ème, je pataugeais, moi qui avais toujours été un très bon élève. Je dois à l'attention de mon professeur principal, professeur d'anglais, de ne pas avoir sombré. Merci Monsieur dont j'ai oublié le nom. Le retour en france de mes parents en 1963 et notre départ pour Paris allait dessiner ma vie jusqu'à aujourd'hui.
J'ai écouté avec émotion Robert Badinter parler de son père disparu en déportation, et évoquer tous ces morts "qui nous regardent". Je me suis souvenu de Simon Wiesenthal racontant que s'il devait un jour être interrogé par les disparus de l'holocauste, à la question : Et toi qu'as tu fait, il répondrait : "Je ne vous ai pas oubliés".
Comme l'ensemble des familles juives d'Algérie, la mienne a eu la chance de ne connaître ni les rafles, ni la déportation. Cependant, la notion obscène de l'antisémitisme m'a toujours accompagné. Enfant, ma mère me racontait avec pudeur et rage à la fois, son exclusion de l'école parce que juive dès l'instauration des lois de Vichy. Mon père lui nous faisait rire avec sa guerre en France, avec son arrestation, avec le camp de travail en Prusse orientale, puis son évasion. C'était sa manière à lui de dédramatiser tout en disant. C'était un homme formidable et d'un optimisme indestructible. Il a disparu depuis 10 ans et il me manque.
Quelques jours avant mes 57 ans, je songe à cette Algérie que je connais si mal et dont les images s'estompent. Je pense pêle mêle à mon copain de l'école du plateau Rabah,le fils du facteur, je pense à Monsieur Caballero notre Maître d'école, à ma moitié d'année de 6ème au lycée Bugeaud et au trajet en trolley de Saint Eugène à Bab El Oued où mon père était commerçant. Je suis me souviens aussi du bruit des bombes, du sang de cet homme exécuté devant notre porte, de cette femme arabe voilée et vêtue de blanc assassinée en plein jour à Bal El Oued. J'ai compris plus tard l'absurdité et l'indignité de ces assassinats et la réalité d'une guerre atroce menée au nom de la France.
Le Français, le Républicain, laïc et athée par conviction que je suis, se sent proche de ces familles qui ont tout quitté et qui arrivent en France, parfois de façon illégale. Ils viennent chercher la paix et la sécurité en quittant des zones de guerre. Ils viennent aussi pour échapper à la misère économique. Qui va les en blâmer ? Quand le Ministre "de la carte d'identité" annône des chiffres d'expulsions comme autant de bêtes conduites à l'abattoir, je suis indigné. Même si les situations ne sont en rien comparables, et j'en suis parfaitement conscient, ces méthodes de traque me renvoient en miroir la France de Vichy et ses rafles de juifs, et la France de 1961 et ses rafles d'Algériens dans Paris.