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Gérard SEBAOUN - Conseiller municipal de Franconville
17 août 2005

"Le sismographe socialiste" par Alexandre Adler

Le Figaro - 17 août 2005

"Étonnamment, le Parti socialiste a, depuis un bon siècle, toujours manifesté une capacité d'enregistrement sismographique des grandes secousses qui, un peu plus tard, devaient traverser de part en part le corps social de la France. Un peu comme le «prologue au ciel» des opéras classiques, le Parti socialiste semble voué à interpréter la partie orchestrale des grands débats français avant que le choeur n'intervienne sur la scène. On pense bien sûr au débat sur la colonisation, ou plutôt sur la liquidation de l'empire colonial. Mais on peut aussi songer au débat déjà bien oublié qui opposa Léon Blum aux prétendus «néosocialistes» en 1931, lequel préfigurait l'affrontement du pétainisme et des républicains traditionalistes. Et même, plus loin encore, le débat entre démocratie et autoritarisme divisa profondément les groupes socialistes, ni unanimes à combattre le boulangisme, ni dénués de toute ambiguïté – y compris Jaurès –, dans le soutien qu'ils apportèrent à la réhabilitation du capitaine Dreyfus.

Deux remarques, ici, s'imposent : la première, à l'évidence, révèle la profonde ambiguïté de cette formation politique. On pourra raconter une histoire sainte qui commence avec le docteur Brousse, Jules Joffrin et les possibilités, se poursuit avec le combat de Jaurès, du jeune Léon Blum et du grand Francis de Pressensé aux avant-postes de la lutte dreyfusiste, et s'épanouit enfin sous le Front populaire avec la constitution du centre blumiste.

Avec des hommes comme Georges Boris, le compagnon fidèle de Pierre Mendès France, Pierre Brossolette, l'archange de la France libre ou encore André Philippe, Pierre Viénot et même Louis Vallon, ce dernier issu du pivertisme, à l'extrême gauche de la SFIO, ce sont les bases intellectuelles de la Libération et de la reconstruction qui sont jetées dès 1943, à Alger. Enfin, on ne doit pas oublier le rôle assumé par la plupart des intellectuels socialistes de la IVe République dans la prise de conscience de l'impérieuse nécessité de la décolonisation. On citera ici rapidement le grand historien de l'Afrique du Nord, Charles-André Julien, le gouverneur des colonies Robert Delavignette ainsi qu'une pléiade de militants, dont le jeune leader étudiant Michel Rocard, soutenus par l'héritier légitime de Léon Blum, Daniel Mayer, et le plus glorieux des compagnons de la libération socialiste, Alain Savary. Malheureusement, cette énumération parfaitement exacte laisse dans l'ombre les néoblanquistes, les anti-dreyfusards inflexibles et parfaitement antisémites qu'étaient Jules Guesde à la gauche du parti et Alexandre Millerand à sa droite, puis, dans les années 30, les théoriciens du rapprochement avec l'Allemagne nazie et du nationalisme autoritaire.

Cela nous conduit directement à la seconde observation : le Parti socialiste fait parfaitement écho et, le plus souvent, précède intellectuellement le reste de l'opinion parce que, coeur intellectuel du parti républicain depuis le XXe siècle et l'affadissement du vieux parti radical, il occupe le point névralgique de toute la politique française.

Bref, les drames du Parti socialiste sont ceux de la France. Et, dans la conduite de ces drames, on est sûr de trouver pêle-mêle ensemble les opinions apparemment les plus opposées. Léon Blum s'écrira à la face de Déat et de son futur geôlier, le Bordelais Adrien Marquet, «Je suis épouvanté» ; il n'empêche que le véritable débat de Vichy aura tout d'abord commencé à la SFIO.

Et aujourd'hui ? C'est un préjugé très ancré que de croire que les luttes politiques au sein des partis sont créées avant tout par les dissensions qui opposent les personnes. Il faudrait ici, une bonne fois pour toutes, en revenir de Marx à Hegel, et même de Tallemant des Réaux à Michelet, des historiettes à l'histoire de l'Esprit objectif. Car ce sont les idées qui précèdent les hommes, s'emparent d'eux et parfois même les broient dans les grandes secousses de l'histoire.

La mondialisation que nous vivons est précisément l'une de ces grandes secousses. Elle n'a pas manqué de diviser de plus en plus gravement le Parti socialiste, qui conduit enfin le débat fondamental qui couve dans la société française depuis le début des années 90. On peut le résumer ainsi : faut-il, avec toutes les précautions et les garde-fous que l'on voudra, accepter la mondialisation, la multiplication des échanges et les déplacements de la production à l'échelle de la planète, en faisant franchir au pays un véritable bon qualitatif dans les trois grandes directions de l'Europe, de l'Éducation et de la démocratie ? Ou, au contraire, faut-il s'arc-bouter sur ce qui existe, et tenter de rejoindre, avec d'autres, un vaste front antimondialiste où se retrouvent les tiers-mondistes de naguère, les nostalgiques de Peron ici, de Nasser là, de Mao ou même de Brejnev, sans compter les islamistes de toutes tendances, les syndicalistes protectionnistes aux États-Unis et les divers corporatismes européens ? Un autre monde est en effet possible, c'est celui que nous avons bien connu encore dans les années 70. Pourquoi ne pas y revenir, demandent avec intensité les Mélenchon, les Emmanuelli et les Montebourg ? Quant aux autres, avec les mêmes réticences et les mêmes prudences que les blumistes acceptant la guerre avec les fascismes contre le pacifisme en 1935, ils sont en train de forger dans la bataille et l'angoisse les armes conceptuelles d'un débat qui divisera non pas seulement le parti socialiste, ni non plus la gauche, mais, en réalité, la France tout entière. En 1936, les antimunichois se trouvaient autour de Léon Blum, mais aussi à droite chez Paul Raynaud et leur leader mondial était déjà Winston Churchill. En 1958, les partisans de l'Algérie indépendante se trouvaient dans la minorité socialiste, mais déjà plusieurs gaullistes particulièrement lucides – tels André Malraux, Louis Joxe, Pierre Messmer et Georges Pompidou – s'apprêtaient à manier le scalpel à droite, et eux allaient réussir là où leurs prédécesseurs socialistes avaient échoué devant l'obstination de Guy Mollet.

A ces deux reprises, on aura vu se profiler quelque part à l'horizon la grande ombre du général de Gaulle. Exercice de vacances : à partir de cet article, essayez de repasser en caractères gras les pointillés qui demeurent et identifiez si possible qui, aujourd'hui, pourrait incarner le legs des positions modérément républicaines de Rochefort, Déat, Belin et Robert Lacoste."


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