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Gérard SEBAOUN - Conseiller municipal de Franconville
3 août 2005

Des élus du 93 répondent à Sarkozy

libération : Le 03 août 2005

Cités, la méthode de terrain
Stigmatiser La Courneuve comme l'a fait Nicolas Sarkozy, c'est nier le dynamisme local.

Il y a de l'indécence à s'appuyer sur le drame insupportable de la mort d'un enfant pour découvrir les réalités sociales qui minent des vies au quotidien et orchestrer une opération expérimentale et démonstrative de la supposée efficacité de la méthode «coup de poing».

Naturellement, le contexte international est favorable à tous les shérifs du monde, quand le terrorisme vient se réinscrire en lettres de sang au premier rang de l'actualité avec son lot d'angoisses jusque dans les pays les plus riches (les autres sont quotidiennement concernés sans que les grands de ce monde en soient vraiment dérangés). La peur humainement présente devant l'inacceptable sert déjà d'alibi pour étendre partout des mesures qui n'ont montré d'autre efficacité que de mettre les citoyens sous contrôle, tout en recherchant leur accord tacite sous la pression de l'urgence.

Le ministre de l'Intérieur se rend à trois reprises à La Courneuve en trois semaines, multipliant les promesses et les déclarations. Des centaines de cités en France vivent des situations semblables à celle de La Courneuve. Rien ne saurait justifier la campagne de stigmatisation qui est à l'oeuvre. On ne saurait pas davantage accepter à partir d'un drame la mise en concurrence des gens et des territoires qui connaissent des situations comparables.

Espère-t-on ainsi contribuer au règlement de questions de société inscrites dans la durée, résultat de tendances lourdes que l'Etat a rarement participé à inverser en s'investissant au niveau nécessaire ?

Espère-t-on faire oeuvre positive en créant un climat d'urgence, présupposant un environnement de guerre, pour rapatrier sur ce terrain quelques moyens (bien insuffisants de surcroît) pris ailleurs sur d'autres projets ainsi supprimés, sur d'autres quartiers qui en ont le même besoin, dans le but de concentrer quelques effets ici, au risque de promouvoir une logique désastreuse pour tous ?

Espère-t-on faire oeuvre positive en tentant d'instrumentaliser, non sans mépris, les élus locaux (qui, pour leur sensibilité de terrain, leur souci d'efficacité et leur proximité des gens, sont pourtant les politiques les mieux appréciés des citoyens), ainsi que l'ensemble des administrations, en particulier celles de l'Etat à tous les niveaux, traités en serviteurs ?

Espère-t-on faire oeuvre positive en humiliant les gens eux-mêmes puisque ce quartier des 4 000 à La Courneuve a été déclaré comme devant être nettoyé au Karcher (des mots lourdement chargés d'histoire, qui parlent d'épisodes sanglants portant toujours le sceau du racisme et de la négation de la personne humaine, qui méritent toute l'inquiétude qu'ils suscitent) ? Mesure-t-on l'impact de telles formules prononcées par un représentant du gouvernement, des formules qui assimilent des gens (cela fait mal à écrire) à des saletés, qui les rayent de leur qualité de citoyens égaux, qui ne les «calculent» plus, alors que c'est précisément de ce doute dont souffre le plus tout un chacun ? Mesure-t-on la charge d'exclusion portée par de tels mots ?

Puisque la démarche se veut démonstrative, les mots doivent-ils être interprétés comme l'expression de la philosophie qui les sous-tend, qui n'a pas grand-chose à voir avec la cohésion sociale ? Devons-nous comprendre que nous sommes terrain test pour une philosophie d'Etat fondée sur l'exclusion, masquée derrière des termes ambigus comme la discrimination positive ? La méthode, menée manu militari jusqu'à la provocation, maniant l'anathème jusqu'à susciter l'automépris (que penser de ses propres chances d'avenir lorsqu'un ministre affirme que tous ceux qui veulent un emploi en auront un, pour les autres on n'a pas de temps à perdre ?), autoritaire jusqu'à susciter la crainte. Cela au moment où la précarisation se généralise, où l'insécurité de l'emploi se systématise par ordonnances et où ce même gouvernement se retire de tous ses engagements au service du principe d'égalité des citoyens.

Espère-t-on faire oeuvre positive ainsi ? Ou cherche-t-on bien autre chose que le positif ?

Elus locaux, avec les populations nous avons toujours su refuser les fatalités auxquelles on semble s'acharner à vouloir nous soumettre.

Nous sommes ensemble confrontés aux enjeux vitaux d'une société qui va mal, en général, pas seulement ici. Peut-être même ici moins qu'ailleurs si l'on veut bien regarder plus loin que la surface, parce que les gens qui vivent ici n'ont jamais renoncé à un avenir riche de mélange, de solidarité et de vivre ensemble.

Depuis toujours il se tisse ici du positif. Pas sur ordonnances : en mobilisant les capacités d'initiative, les compétences de chacun, le désir d'une vie meilleure, la certitude que rien n'est octroyé, le besoin d'égalité, le potentiel associatif, tous les potentiels de toute sorte du territoire, y compris en développement d'activités, les savoir-faire solidaires. Dans des réseaux de participation à la vie locale, des réseaux citoyens et démocratiques, où tous doivent savoir avoir également leur place, que l'on soit citoyen français ou étranger, quelles que soient les ressources.

Nous savons d'expérience que le vivre ensemble se tisse d'abord sur la reconnaissance de la valeur de chacun, de chaque culture.

Dans notre département de Seine-Saint-Denis se trouvent les huit communes dont les familles ont les revenus les plus modestes d'Ile-de-France (le revenu fiscal moyen des habitants de La Courneuve est de 8 500 euros par an, à comparer aux 17 500 euros pour l'Ile-de-France). Ces villes se sont regroupées en communauté d'agglomération pour se donner plus de poids, s'ouvrir des partenariats plus larges, se donner un nouvel élan et donc des perspectives plus importantes.

Dans ces huit communes en coopérative pour un développement solidaire, il se construit des politiques publiques essentielles à la bonne santé du tissu social, et des partenariats volontaires diversifiés. C'est toute cette démarche et ses résultats qui sont délibérément cassés par des méthodes dignes d'une république bananière. En effet, lorsque tous les emplois saisonniers de Carrefour Stains se trouvent autoritairement bloqués pour abonder exclusivement l'offre de CDD promis par le ministre à La Courneuve, que devient la portée de la «charte pour l'emploi» signée par Plaine Commune et près de cent entreprises volontaires du territoire sur un plan de longue haleine, impliquant chaque partie ? Il est inacceptable, de même, de prétendre régler les questions de l'école et de la formation par des rendez-vous imposés dans l'urgence au recteur, au coup par coup. C'est nier le remarquable travail collectif mené plusieurs mois durant sous le pilotage du recteur avec les lycées et les deux universités (Paris-VIII à Saint-Denis et Paris-XIII à Villetaneuse, et leurs IUT) du bassin de vie, pour un plan de développement cohérent et ambitieux pour les jeunes d'ici, des formations postbac. Cela rendra plus difficile aussi de poursuivre des politiques de solidarité qui affirment (y compris par la prise d'arrêtés anticoupures et antiexpulsions par les maires communistes) l'objectif de permettre aux familles de sortir de l'exclusion dans le respect d'elles-mêmes, et alors que s'y ajoute la baisse des subventions d'Etat aux associations engagées dans les contrats de ville. C'est un mensonge terrible quant à ses conséquences de laisser entendre que les chômeurs sont des gens qui ne veulent pas travailler, qu'il suffit de vouloir un emploi pour en trouver un. Comment se fait-il alors que le gouvernement n'ait pas su mobiliser les acteurs économiques pour en fournir un aux 23 000 sans-emploi de Plaine Commune, aux deux millions et demi de demandeurs d'emploi en France ?

Nous nous permettons, puisque La Courneuve est prise symboliquement en cible, de rappeler une image toute récente qui donne de cette cité une idée autrement positive de sa réalité (une réalité qui forme un tout) : la plage éphémère installée par la municipalité a vu 27 000 personnes en quelques jours, enfants, familles, y prendre leurs quartiers d'été. Pour ne pas avoir à oublier le bonheur des regards, il nous revient de pouvoir l'organiser à nouveau dans un an, tous les ans idéalement (mais déjà se pose la question des moyens). Question de respect et d'égalité des droits. Les loisirs, c'est comme la culture : absolument nécessaire pour vivre, se ressourcer, réfléchir, comprendre peut-être mieux le monde comme il va, et comme il pourrait aller mieux.

La banlieue, les quartiers populaires des villes sont largement porteurs de positif. Un positif qui s'invente sans doute ici plus qu'ailleurs, poussé par la difficulté des problèmes, porté par la capacité des gens et leur volonté de résistance, de ne jamais renoncer à l'espoir.

Pour que l'efficacité soit au rendez-vous, il faut que les dynamiques qui se construisent dans le creuset local soient épaulées par des politiques publiques nationales affirmées. Que l'on sorte de l'urgence. Que les relais s'affirment dans la durée, avec des financements de droit commun, avec une politique d'égalité des droits pour tous les territoires. Que les projets phares (comme le projet de Cité du cinéma de Besson ou les Archives nationales qui s'implantent sur le site des Tartres en coeur d'agglomération, ou encore les Archives du ministère des Affaires étrangères à La Courneuve) soient accompagnés au plus haut niveau : en contribuant à l'attractivité et au dynamisme de notre territoire, ils créent de l'élan en retour et ouvrent des perspectives indispensables à la vie de tous.

Les démonstrations de force dans les quartiers populaires nous amènent plutôt à penser que le gouvernement s'engage sur une pente dangereuse. Loin de régler les problèmes, la méthode appelle à dresser les gens les uns contre les autres et indique le refus de s'atteler sans arrière-pensée à des questions cruciales de société, collectivement, dans la durée, avec les gens. Alors que c'est, à nos yeux, la seule voie qui donnera tout leur sens aux trois valeurs clés de la République qui fondent le contrat social : la liberté, l'égalité et la fraternité.

http://www.liberation.fr

Patrick BRAOUEZEC député PCF de Saint-Denis et Gilles POUX maire PCF de La Courneuve.

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