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Gérard SEBAOUN - Conseiller municipal de Franconville
19 mars 2006

A propos du CPE, la chronique éclairée du sociologue François Dubet

Professeur de sociologie à l'université Bordeaux-II et directeur d'études à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), il analyse le mouvement de protestation anti-CPE.

« Les jeunes sont la variable d'ajustement du marché du travail »

Pourquoi le CPE mobilise-t-il tant les jeunes ?
Il faut rapprocher les émeutes en banlieues de l'automne et les manifestations d'aujourd'hui. Il y a un véritable problème de la jeunesse en France : d'un côté, les enfants des classes moyennes font des études, mais sont très angoissés par la dégradation programmée de leur situation sociale. Un jeune sur deux occupera demain un emploi qui n'aura rien à voir avec sa formation universitaire. Dans les années 60, seuls 12 % des jeunes avaient le bac. En face, il y avait environ l'équivalent de postes disponibles de cadres moyens et supérieurs. Aujourd'hui, 70 % d'une classe d'âge a le bac, sans qu'en face on ait le même nombre de postes. Et puis il y a une autre partie de la jeunesse, totalement marginalisée, qui adopte des conduites émeutières. Les jeunes de banlieue sont déjà «dehors», et les enfants des classes moyennes savent qu'ils peuvent rapidement les y rejoindre. Dans ce contexte, le CPE a un effet désastreux, au moins symboliquement : il institutionnalise la précarité pour tous. Pourtant, pour certains jeunes, qui cumulent les stages ou ne trouvent pas de travail, le CPE peut être «mieux que rien.» Je ne défends pas la mesure, mais j'observe des tensions à l'intérieur même des jeunes. D'un côté ceux qui font des études, en se disant : «Je dois tenter ma chance, avoir un diplôme pour obtenir un CDI.» Et ceux déjà «dehors», à qui en théorie est destiné le CPE. En 1994, au moment du CIP, qui prévoyait une rémunération à 80 % du Smic pour les jeunes, cette tension existait déjà.

N'est-ce pas la crainte de ne plus progresser socialement qui mobilise ?
C'est un thème qui a su mobiliser plutôt les générations précédentes. Aujourd'hui, la grande affaire, c'est l'injustice. Il y a une conscience vive qu'il y aurait une barrière dans la société entre ceux qui peuvent entrer dans la vie sociale, fonder une famille, avoir un appartement, une voiture... Et ceux qui en resteront exclus. Au fond, tout le monde a admis que le travail allait désormais être flexible. Mais la vie ne peut pas l'être. C'est un échec français, on est incapable d'articuler cette flexibilité de l'emploi imposée, et le fait que sa vie ne peut pas être totalement indexée sur son contrat de travail. Si un jeune est en CDD, sa banque refuse de lui prêter de l'argent. Alors il continue à dépendre de sa famille. La principale préoccupation des jeunes, c'est de devenir adultes, en ayant des revenus stables, pour s'installer dans la vie.

Quel rôle jouent les syndicats dans cette lutte ?
Je ne les accuse pas. Mais depuis trente ans, ils sont devenus minoritaires, centrés sur des secteurs protégés, sur des populations qui ne se sont jamais posé objectivement la question de la précarité. Ils défendent le noyau dur de leurs adhérents, qui sont en CDI. Ils ont cependant d'excellentes raisons d'agir avec les jeunes, mais leur alliance n'est pas si claire. Avec un taux de chômage élevé, les jeunes sont la variable d'ajustement du monde du travail. Sans compter que les écarts de salaire entre les débuts et les fins de carrière se sont creusés. En se liant aux étudiants, les syndicats se remettent aussi dans le jeu face à Dominique de Villepin, et ce à la veille de leurs congrès respectifs. Il y a aujourd'hui en France comme un deal secret : la question du chômage et donc de l'emploi a évincé celle des conditions de travail. Au point de sacrifier une génération. Mais ce deal craque, dans les émeutes de banlieue, comme dans les manifestations d'aujourd'hui, même si l'imaginaire social des Trente Glorieuses continue à dominer.

Article de Muriel GREMILLET paru le 18 mars 2006 dans libération http://www.liberation.com/


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